par Yoruk Bahceli et Dhara Ranasinghe
L'incertitude sur la trajectoire des taux de la Banque centrale européenne (BCE) s'est accrue brusquement avec l'annonce du plan de réarmement européen et la possible levée du frein à l'endettement allemand, la posture plus prudente de l'institution ajoutant par ailleurs au flou.
La BCE a abaissé son taux directeur de 25 points de base à 2,5% jeudi, précisant que sa politique monétaire devenait "significativement moins restrictive" -alors que la banque centrale la jugeait précédemment "restrictive".
Cela a encouragé les paris en faveur d'une baisse moins importante que prévue des taux de la BCE cette année, les opérateurs estimant déjà que le fonds de 500 milliards d'euros consacré à la défense et aux infrastructures annoncé par les partis allemands de gouvernement contraindrait l'institution à limiter son assouplissement monétaire.
"Il pourrait y avoir encore une baisse de taux, deux au maximum", estime Vasileios Gkionakis, économiste chez Aviva Investors, qui estime que le changement de terminologie de la BCE vise à préparer à la fin de l'assouplissement monétaire.
Les marches monétaires jugent une baisse de taux en avril probable à 50%, contre 60% estimée la semaine dernière.
Les responsables à la BCE estiment qu'une pause en avril devient crédible, avant de nouvelles baisses de taux lorsque l'incertitude se sera un peu dissipée, expliquent des sources à Reuters.
Sur l'année, les marches monétaires évaluent à 60% la probabilité que la BCE baisse ses taux à deux autres reprises.
BUDGET ET POLITIQUE MONÉTAIRE
Les marches espèrent que la décision allemande changera la donne pour l'économie européenne.
L'euro s'est envolé à 1,0854 dollar jeudi, son plus haut depuis l'élection de Donald Trump le 6 novembre et bien au-delà de ses niveaux de février, 1,01 dollar.
Les rendements du Bund à 10 ans, référence en zone euro, ont progressé cette semaine à leur rythme le plus rapide depuis les années 1990.
Les opérateurs commencent même à se positionner pour un relèvement des taux en 2026, la probabilité que le taux de dépôt soit relevé d'ici septembre 2026 atteignant 40%.
La BCE ne disposait pas d'assez de détails pour prendre en compte les annonces allemandes dans sa décision de jeudi, mais celles-ci perturbent des perspectives de politique monétaire déjà imprécises, selon des analystes.
"Une injection de liquidités aussi importante dans une économie fera une vraie différence. Cela signifie aussi que l'inflation sera plus élevée", constate Mark Dowding, responsable des investissements chez RBC BlueBay Asset Management.
Les anticipations d'inflation 5 ans dans 5 ans
EUIL5YF5Y=R , un indicateur de marché clé, se sont envolées à 2,22%, affichant mercredi leur plus forte hausse sur une séance depuis au moins 2013, selon des données LSEG.
Mark Dowding estime que la prochaine baisse de taux de la BCE pourrait être la dernière.
"Nous avons vendu des souverains allemands à court terme, car le marché de taux a intégré un assouplissement monétaire trop important", expliquait-il avant la décision de la BCE.
Nomura et Goldman Sachs font aussi partie des banques à avoir revu leurs anticipations d'assouplissement monétaire à la baisse.
Les marchés devront composer avec cette incertitude, qui tranche avec le sentier bien balisé depuis octobre d'une baisse de taux par réunion.
L'ÉLÉPHANT DANS LA PIÈCE
En dépit de l'optimisme des marchés autour des impacts du plan de réarmement, la principale question demeure celle des droits de douane.
Les mesures qui pourraient cibler l'Europe sont encore floues, mais la BCE a évoqué l'incertitude commerciale comme l'un des facteurs de la révision à la baisse de ses projections de croissance européennes.
Des droits de douane sur l'aluminium et l'acier seront mis en place à partir du 12 mars, et des droits de douane supplémentaires, ainsi que des mesures ciblées contre l'automobile et d'autres secteurs, pourraient aussi être décidés.
"Les marchés sous-estiment les droits de douane", estime Salman Ahmed, responsable de la macro chez Fidelity International, qui s'attend à un taux terminal pour la BCE de 1,75% contre 1,5% attendu précédemment. La banque centrale pourrait toutefois baisser ses taux en réponse aux droits de douane, ajoute-t-il.
Piet Christiansen, chef analyste chez Danske Bank, n'a pas révisé sa cible et prévoit toujours que la BCE portera son taux directeur à 1,5% cette année, car les annonces allemandes manquent de détails.
"Il y a un chiffre et c'est tout. On ne sait ni quand ces fonds seront déployés, ni à quelle échelle", conclut-il.
(Reportage Yoruk Bahceli et Dhara Ranasinghe, version française Corentin Chappron, édité par)
0 commentaire
Vous devez être membre pour ajouter un commentaire.
Vous êtes déjà membre ? Connectez-vous
Pas encore membre ? Devenez membre gratuitement
Signaler le commentaire
Fermer